Plus blanc que blanc... Le lavage et la publicité

Publié le par exposition jours de lessive

            L’histoire du lavage du linge est intimement liée à la publicité. C’est le savon Sunlight qui ouvre le siècle des publicités lessivielles en 1897. Les frères Lumières réalisent ce premier spot publicitaire.

On peut aujourd’hui, à travers plus d’un siècle de publicités identifier quelques thèmes récurrents.

La plupart du temps, il s’agit d’opposer l’usage des machines à laver et des lessives aux gestes ancestraux. Deux interprétations contrastées ressortent de la mise en scène de cette opposition : soit on loue le passé avec nostalgie, soit on appuie l’apport des innovations.

            Les publicités Vedette mettant en scène la Mère Denis, tout comme la première publicité Sunlight use de l’imaginaire champêtre exprimant la sérénité. En effet, dans la publicité de 1976 de Vedette, l’effort physique et la dureté du travail sont gommés dans l’imaginaire grâce à cette apparition n’évoquant plus que les jeux d’enfants sur l’herbe à côté de l’aïeule qui accomplit les travaux domestiques.

D’autre part, on oppose la douceur du traitement du linge par les produits présentés face à l’étrillage de la brosse de chiendent. Aussi, en 1951 Laden berce t-il le linge…

L’introduction progressive de l’homme dans les publicités de machine à laver est perceptible dans les années 80 et 90. Il est représenté comme occupant des positions diverses dans le foyer : grand expert des techniques, responsable financier de la famille, puis acteur, mettant son linge dans la machine ou utilisant des lessives.

Le temps gagné est un argument de vente omniprésent. Mais l’utilisation de ce temps évolue avec la condition des femmes. Si dans les publicités, ce temps « en plus » est en premier lieu réorienté vers le foyer, à la fin des années 60 la femme le garde pour elle, et à partir des années 90, la « paresse » a le droit de citer.

       Ce texte tiré des Mythologies de Roland Barthes constitue une première critique de l’utilisation de la publicité par les lessiviers :

« Le premier Congrès Mondial de la Détergence (Paris, septembre 1954) a autorisé le monde à se laisser aller à l’euphorie d’Omo : non seulement les produits détergents n’ont aucune action nocive sur la peau, mais même ils peuvent peut-être sauver les mineurs de la silicose. Or ces produits sont depuis quelques années l’objet d’une publicité si massive, qu’ils font aujourd’hui partie de cette de la vie quotidienne des Français, où les psychanalyse, si elles se tenaient à jour, devraient bien porter un peu leur regard. On pourrait alors utilement opposer à la psychanalyse des liquides purificateurs (Javel), celle des poudres saponidées (Lux, Persil) ou détergentes (Rai, Paic, Crio, Omo). Les rapports du remède et du mal, du produit et de la saleté sont très différents dans l’un ou l’autre cas.

Par exemple, les eaux de Javel ont toujours été senties comme une sorte de feu liquide dont l’action doit être soigneusement mesurée faute de quoi l’objet lui-même est atteint, « brûlé » ; la légende implicite de ce genre de produits repose sur l’idée d’une modification violente, abrasive de la matière : les répondants sont d’ordre chimique ou abrasive de la matière : le produit « tue » la saleté. Au contraire les poudres sont des éléments séparateurs ; leur rôle idéal est de libérer l’objet de son imperfection circonstancielle : on « chasse » la saleté, on ne la tue plus ; dans l’imagerie Omo, la saleté est un petit ennemi malingre et noir qui s’enfuit à toutes jambes du beau linge pur, rien qu’à la menace du jugement d’Omo. Les chlores et les ammoniaques sont sans aucun doute les délégués d’une sorte de feu total, sauveur mais aveugle ; les poudres sont au contraire sélectives, elles poussent, conduisent la saleté à travers la trame de l’objet, elles ont une fonction de police, non de guerre. Cette distinction a ses répondants ethnographiques : le liquide chimique prolonge le geste de la lavandière battant son linge, et les poudres remplacent plutôt celui de la ménagère pressant et roulant la lessive le long du lavoir incliné.

Mais dans l’ordre même des poudres, il faut encore opposer à la publicité psychologique, la publicité psychanalytique (j’entends ce mot sans y attacher une signification d’école particulière). Par exemple, la Blancheur Persil fonde son prestige sur l’évidence d’un résultat ; on met en mouvement la vanité, le paraître social, en donnant à comparer deux objets dont l’un est plus blanc que l’autre. La publicité Omo indique aussi l’effet du produit (sous une forme d’ailleurs superlative), mais surtout découvre le procès de son action ; elle engage ainsi le consommateur dans une sorte de mode vécu de la substance, le rend complice d’une délivrance et non plus seulement bénéficiaire d’un résultat ; la matière est ici pourvue d’états-valeurs.

Omo en utilise deux, assez nouveaux dans l’ordre des détergents : le profond et le mousseux. Dire qu’Omo nettoie en profondeur (voir la saynète du Cinéma-Publicité), c’est supposer que le linge est profond, magnifier, l’établir comme un objet flatteur à ces obscures poussées d’enveloppement et de caresse qui sont dans tout corps humain. Quant à la mousse, sa signification de luxe est bien connue : d’abord, elle a une apparence d’inutilité ; ensuite sa prolifération abondante, facile, infinie presque, laisse supposer dans la substance dont elle sort, un germe vigoureux, une essence saine et puissante, une grande richesse d’élément actifs sous un petit volume originel ; enfin elle flatte chez le consommateur une imagination aérienne de la matière, un mode de contact à la fois léger et vertical, poursuivi comme un bonheur aussi bien dans l’ordre gustatif (foies gras, entremets, vins) que dans celui des vêtement (mousselines, tulles) et dans celui des savons (vedette prenant son bain). La mousse peut même être signe d’une certaine spiritualité, dans la mesure où l’esprit est réputé pouvoir tirer tout de rien, une grande surface d’effets d’un petit volume de causes (les crèmes ont une tout autre psychanalyse, d’ordre sopitif : elles abolissent les rides, la douleur, le feu, etc.). L’important, c’est d’avoir su masquer la fonction abrasive de détergent sous l’image délicieuse d’une substance à la fois profonde et aérienne qui peut régir l’ordre moléculaire du tissu sans l’attaquer. Euphorie qui ne doit d’ailleurs pas faire oublier qu’il y a un plan où Persil et Omo, c’est tout comme : le plan du trust anglo-hollandais Unilever. »

 
Roland Barthes, Mythologies, Seuil, Paris, 1957
 

        Nous vous invitons à venir (re-)découvrir ces publicités lors de l’exposition « Jours de lessive… ». De la publicité Sunlight des Frères Lumières, à la Mère Denis, du Nœud mouillé d’Omo (ayant inspiré un sketch à Coluche) aux singes « Maousse Costo »… 40 minutes de film pour revivre ces grands moments de la publicité !

 
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